La vertu de tempérance pour maîtriser le plaisir
Que l’on ne s’imagine pas maîtriser ou bannir le désir des choses présentes, si, à la place de ces mauvais penchants, que l’on souhaite retrancher, l’on n’en met de bons. La force vitale de l’âme ne lui permet pas de rester sans quelque sentiment de désir ou de crainte, de joie ou de tristesse ; il suffit alors de bien l'occuper. Nous voulons chasser de notre cœur les convoitises de la chair : livrons aussitôt la place aux joies spirituelles. Prise à cet heureux filet, l’âme aura désormais où se fixer, et rejettera les séductions des joies présentes, des bonheurs qui passent.
Lorsque de quotidiens exercices l’auront conduite à cet état, l’âme connaîtra par expérience le sentiment qui s’exprime dans ce verset, que tous, à la vérité, nous chantons sur le rythme accoutumé de la psalmodie, mais dont un petit nombre seulement, que l’expérience a instruits, pénètrent tout le sens : « J’avais les yeux vers le Seigneur toujours, parce qu’il est à ma droite, de peur que je ne chancelle » (Ps 15, 8). Oui, celui-là seul aura l’intelligence intime et vivante de ces, paroles, qui, parvenu à la pureté d’âme et de corps dont nous parlons, comprendra que c’est le Seigneur qui, à tout instant, l’y maintient, de peur qu’il ne retombe de ces hauteurs à sa misère, et qui protège constamment sa droite, c’est-à-dire ses actions saintes.…
Voici, au demeurant, le signe certain que l’on est tout proche de la pureté : c’est que l’on commence à ne plus l’attendre de ses propres efforts. Lorsque l’on a bien compris toute la portée de ce verset : « Si le Seigneur ne bâtit la maison, c’est en vain que travaillent ceux qui la bâtissent », on ne se fait point de sa pureté un mérite orgueilleux, parce que l’on voit trop bien qu’on la doit à la miséricorde du Seigneur et non à sa propre diligence ; on ne s’emporte pas non plus contre les autres avec une rigueur impitoyable, parce que l’on sait que la vertu de l’homme n’est rien, si elle n’est aidée de la vertu divine.
Cassien, Conférences, 12, Conférence de l’abbé Chérémon, De la chasteté, chap. 5 et 15.